Un choc peut être salutaire à condition de ne pas l’épouser. Or, tel n’est pas le cas avec le choc frontal giletjaunesque qui secoue la France depuis plus de deux mois.
Une poignée de putschistes se saisit d’une pétition consensuelle contre la hausse du prix de carburant et entraîne la société dans un tête à tête interminable avec tout ce qui est Gilet Jaune. Orpailleurs en haillons dans un paysage de misère, tout un chacun cherche quelques miettes d’or dans la masse jaune. Qui son frexiteur, qui son augmenteur du smic, par-ci un anti-immigrationiste par-là un service public-iste et partout les cris de « Macron démission ! », « donnez-nous du fric & le RIC », « arrêtez de nous imposer et restaurez l’ISF ! ».
A coups de massue, le giletjaunisme s’impose sur l’esprit national. Interdit de le blasphémer, on a tout juste le droit de dire du mal des « radicalisés ». Comme le combattant du Hamas touché par un tir israélien qui le transforme en innocent civil, le mec qui se comporte mal perd la valeur de son gilet iconique et devient un vulgaire casseur.
Aspirations légitimes
Les mouvements totalitaires sont nourris des aspirations légitimes du peuple. Vivre dignement sur ses terres, s’exprimer librement et se faire entendre, parler populaire et se faire respecter par des élites détestées. Incapables de s’organiser en mouvement, nos GJs s’estiment compétents à gouverner la France. La démocratie représentative est, à leurs yeux, pire que les monarchies d’antan. Chacun au sein de la nébuleuse jaune parle pour lui-même, tous sont habilités à diriger l’Etat. « C’est au peuple de faire les lois ». Le peuple, pas les élus. Ces élus, installés pour cinq ans comme conséquence d’un scrutin (beurk), devraient à toute heure être redevables à la volonté du peuple, révocables à souhait, réduits au rang d’employés de maison.
Et encore ! Mieux vaut gouverner via les réseaux sociaux. La page Facebook qui recueille le plus de likes fera loi. C’est la démocratie directe ! Et l’impact giletjaunâtre est tel que la majorité des commentateurs a fini par trouver que c’est vrai, la démocratie représentative est à bout de souffle. C’est éloigné du peuple. Ils sont modernes, ils ont de bonnes idées, ils veulent se faire entendre. Un peu de RIC, beaucoup de proportionnelle, une Assemblée Nationale à leur image, avec une bonne dose d’ouvriers, de chômeurs, d’immigrés clandestins (là j’exagère). Ils réclament moins d’inégalité, plus de social, moins d’impôts, plus de services… et la restauration de l’ISF. Cet ISF n’est pas exactement la peine de mort, mais il fera du mal aux riches, ce qui fait du bien au peuple.
Une addiction
On déroule sondage après sondage pour dire à quel point ce mouvement ,qui n’en est pas un, est soutenu par les Français. En culminant « sympathie » et « soutien » on arrive à des taux (80% à ses débuts, 56% après 10 semaines de samedis jaunes) qui permettent aux croyants jaunes de dire qu’ils sont la majorité en France. Aucun sondeur n’a songé à demander aux Français s’ils sont d’accord sur le principe qu’un contingent de 300,000 personnes (le 17 novembre 2018) descendu à 60,000 boots on the ground, doive décider, voire gouverner. On pourrait, par exemple, imposer la sharia avec les mêmes méthodes, mais personne n’y pense. Sauf… ceux qui le préparent.
Cette crise allume les pires qualités des Français : l’envie, l’anticapitalisme haineux, la dérision facile, la mauvaise foi, le petit esprit et, en l’occurrence, le huis clos. Depuis le 17 novembre il ne se passe rien d’intéressant en dehors de la France sous l’emprise GJ. C’est une addiction. On essaie, j’essaie de me détourner, de ne plus suivre cette actualité jaune monotone, de regarder ailleurs, mais c’est trop fort car notre démocratie est en jeu (le péril jaune pardi). Faute de pouvoir limiter les dégâts je voudrais au moins penser la chose. (Voir un texte et la transcription d’un entretien radiophonique en anglais)
Il faut, nous dit-on, les écouter, ces GJ. Trop longtemps négligés, ils ont des choses à nous dire. Allô j’écoute ? Macron démission, assemblée citoyenne, pouvoir d’achat, referendum de révocation, moins de taxes, plus de services et la restauration de l’ISF. On a beau expliquer, chiffres à l’appui, que faute de riches, les pauvres s’appauvrissent et le chômage augmente, ils ne veulent pas entendre parler de pédagogie. C’est une insulte.
Lfrin
C’est clair, les élites sont fautives— déconnectées du terrain et sans pitié, ils refusent d’écouter le peuple. Et hop ! Un coup de pied (jaune) au cul pour se débarrasser des élus honnis qui vivent comme de petits princes et si Macron ne dégage pas on le décapite façon Daesh. On remplace le banquier (Rothschild, hein !) et ses voleurs par un gouvernement digne du peuple.
Oui mais, que faire quand le peuple en question pense comme le Rassemblement National et appelle de ses vœux le programme économique de Marine Le Pen ? Si ce n’est pas le modèle Mélenchon ? L’un et l’autre : Venezuela. Choisir démocratiquement un caudillo qui promet d’éliminer les inégalités et apporter la justice sociale, help yourself. Vous n’aurez pas à supplier le gouvernement de réduire la TVA sur les produits de première nécessité. Il n’y en aura plus !
On dirait que le giletjaune-nik du coin n’est pas heurté par la cohabitation LFIRN. Que ce soit sur le champ de bataille des samedis jaunes, ou dans les circuits médiatiques le reste de la semaine, nos GJs s’affirment transversaux, fidèles à la couleur, pas aux partis. OK, mais ils ne sont pas gênés par la coalition de facto qui leur donne de la voilure.
Pacifistes… et solidaires avec Maxime Nicolle, qui sonne la charge de la lutte armée, et Éric Drouet, qui rameute les bataillons pour un soulèvement sans précédent. Quand les coproducteurs entraînent la foule à la République pour déstabiliser la police par une Nuit Jaune sale, les gentils pacifistes sont au rendez-vous. Jerôme Rodrigues, figure emblématique, blessé à l’œil le 26 janvier (tentative d’homicide, dixit Drouet), se déclare lui aussi pacifiste tout en étant complice des mots d’ordre explosifs de ses potes Drouet, Nicolle et Cie.
La violence jaune
Au début, des GJs déploraient à part égale la violence des casseurs, venus d’une autre planète, et l’incompétence des forces de l’ordre, qui laisseraient faire les méchants intrus afin de salir le jaune immaculé. Puis, devant l’évidence d’une violence proprement jaune et la baisse de participation des pilleurs patentés, on a accusé la police de provoquer, harceler, bloquer et encercler, à tel point que de jaunes pacifistes ont vu rouge, pété les plombs, commis des actes regrettables, mais somme tout justifiables bien que pas excusables. Quoique, avouent-ils, sans violence, le gouvernement n’aurait jamais cédé. En fait, ajoutent-ils, des débordements signent toutes sortes de manifestations depuis belle lurette.
Cette semaine, les GJs s’en prennent aux forces de l’ordre, accusées de tirer sur des opposants politiques, d’utiliser des armes de guerre contre des civils sans défense, de réprimer dans le sang la sainte révolte. Selon le grandiloquent Jerome Rodrigues : « La police ne sert que de bouclier aux puissants qui tremblent devant le peuple. » Accusations reprises par certains élus, y compris Marine Le Pen, autrefois très copine avec les hommes en bleu.
Les gueules cassées
La pression monte pour l’interdiction du lanceur de balles de défense (LBD) alors que les lanceurs de pavés, boules de pétanque et bouteilles incendiaires disparaissent sous un nuage de gaz lacrymogène. Oubliés les banques, les boutiques et l’Arc de Triomphe saccagés, les commerces saignés à blanc, l’immobilier urbain détruit, l’économie sabordée et l’image de la France abîmée. Menaces de mort contre hommes et femmes politiques et contre des gilets jaunes refusant de suivre la ligne du parti qui n’en est pas un ? Bof ! On apprend que c’est chose courante. Élus, ministres, leaders des partis en reçoivent toujours, rien de spécial.
Le 2 février, le douzième samedi jaune dans la série interminable, est consacré aux « gueules cassées ». Les mutilés et blessés en tête de cortège à Paris, et puis des GJs maquillés en gore. Interdire le LBD, supprimer les grenades assourdissantes, éliminer les policiers violents, protéger les manifestants pacifistes… Quid des tués ? Onze victimes d’accidents provoqués par les actions intempestives des Gilets Jaunes sur les ronds-points. On ne les voit pas, on n’entend pas parler d’eux… sauf quand certains GJs les ajoutent au compte des martyres de la violence de l’Etat.
Médias collabos
Avec le Hasbara force 8 offert gratuitement aux Gilets Jaunes, nous autres sionistes serions au repos, satisfaits de contempler un monde acquis à nos valeurs. Un écrivain, moi par exemple, invité à s’exprimer des heures durant comme les divers exemples (ils n’ont pas de porte-parole) giletjaunesques, serait un bestseller. Que c’est doux de débattre, sur les plateaux de télévision accueillants, d’égal à égal avec diplômés, spécialistes et journalistes aguerris, de dire leur fait aux élus et aux chefs d’entreprise bienveillants, de les saloper d’insultes.
Les débats sont intéressants quand ils donnent à voir la réaction spontanée des uns aux autres en plein dilemme national. En revanche, quand les perdants de 2016 ânonnent leurs certitudes, j’ai l’impression d’être au supermarché devant le rayon de boîtes de conserves. Toujours est-il que l’indulgence des médias, la volonté de bien présenter la nébuleuse GJ, de la gratifier d’un lexique flatteur—mouvement, manifestants, désir de démocratie, populaire, social—et de reprendre en chœur la désapprobation du gouvernement, de la société, du libre-échange et des riches, est récompensée par une haine fervente. Des journalistes sur le terrain sont ridiculisés, agressés, tabassés. Des pancartes « médias collabos » sont brandis à côté des images de Che Guevara, des drapeaux identitaires et des banderoles « Pas de paix sans justice », « Vaincre la dictature », « Libérez Christophe » [le boxeur anti-flic].
Gilets jaune et nid de vipères
On ne peut pas continuer à discuter du sexe des anges ! A peser le poids des braves gens contre les petites frappes, à distiller de la haine meurtrière en ferveur purifiée, à identifier la sagesse populaire au sein de la foule en colère. Gilet Jaune n’est pas un mouvement, c’est un collectif. Collectivement responsable du paysage modelé par ses actions. Ce n’est pas Nineveh, mais il y a dans l’image des banques barricadées et recouvertes de graffiti un air de dévastation et de renoncement. Un restaurateur près de Toulouse critique le giletjaunisme : son restaurant est incendié. Quelques GJs décident de se réunir en parti politique, ils sont menacés de mort. Le martyr Jerome Rodrigues est exfiltré de la marche des blessés ! Viré par des antifas, des black blocs, des jusqu’auboutistes, comment savoir ? C’est un nid de vipères.
Impossible de dire ce qu’ils veulent. Sauf que tout ce qui est donné ou proposé est loin du compte. Il faudrait, à la question Gilet Jaune, donner une réponse immédiate et totalement satisfaisante, une réponse concrète— pouvoir d’achat augmenté par magie—et politique : Macron démission. Remplacé par qui ou par quoi ? Au fil des samedis jaunes, une douzaine déjà, il est clair que la seule réponse acceptable serait de remettre le pouvoir à la rue. Les « manifestations » commencent « bon enfant » et « dégénèrent » en guerre contre les forces de l’ordre, dernier rempart à portée de main. La réponse, la seule réponse acceptable, c’est le pouvoir à la rue où il se fera disputer à coups de main, d’arme blanche et d’arme à feu.
La République tient par un fil
La République tient par un fil, un fil fragile, effiloché par les contradictions d’un président brillant, mais secoué par des courants pervers. S’il flanche, c’est la tyrannie qui pointe, la petite tyrannie de petites gens qui seront vite happés par plus tyrannique qu’eux.
Et après ? Vu l’enthousiasme pour la chute du régime chez les LFI comme les RN, il faut conclure qu’ils se voient gagnants. L’un ou l’autre ou les deux, dans un mélange jaunâtre. Restent les Républicains. Ce pourquoi le bruit de fond se focalise sur la démolition de Laurent Wauquiez, en accordant à Marine Le Pen le monopole sur les questions d’immigration, d’Islam et du jihad. A quoi bon ?
This article was originally published in Coolamnews.